L'enfant et la mort, comment leur parler ?

Il est devenu banal de dire que notre société moderne a fait de la mort un tabou. Même si celui-ci semble aujourd'hui être un peu remis en cause, il apparaît que beaucoup d'entre nous sommes gauches et maladroits quand il s'agit de parler de la mort à un enfant, encore plus s’il s'agit de l'accompagner dans un deuil.

Texte écrit par Renaud Perronnet, philosophe de formation, psychopraticien, formateur en relation d'aide et en communication.

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1Pour un adulte, est-il normal de nier l'existence de la mort ?

Oui, c'est une réaction normale puisque nous sommes ainsi faits que quand nous nous trouvons devant une nouvelle inassimilable pour nous, notre première réaction (qui est aussi un mécanisme de défense) est le déni. Signe que nous avons posé le pied sur la première marche d’un parcours douloureux pour nous. 

2Ordinairement, comment réagit-on lorsque la mort surgit dans une famille ?

On réagit souvent en éloignant les enfants, parce qu'on pense que la vue du cadavre et celle du chagrin des personnes affectées par le deuil peut leur nuire. D'ailleurs, beaucoup d’entre nous estiment que le très jeune enfant, jusqu'à sept ou neuf ans, n'a pas encore développé toute sa capacité à raisonner. Un contact avec la mort pourrait lui causer un choc important. Il faudrait tout faire pour éviter les traumatismes.

3Mais ne risquons-nous pas alors de tomber dans un autre excès ? 

Bien sûr, le risque serait de ne pas préparer l'enfant à la vie, de l'isoler, en ne lui permettant pas de participer aux cérémonies entourant la mort. En l'isolant de sa famille, en le faisant garder pour le mettre à l'écart, on l'exclut des conversations ; en lui camouflant la vérité, on risque fort d'attiser sa curiosité et sa propension à la dramatisation et à la peur. Souvenons-nous que la mort présentée avec calme et respect donne un sens à la vie. En effet, quelle valeur accorder à la vie si elle n'était pas limitée dans le temps ? D'un autre côté, il faut tout faire pour éviter les traumatismes. Les parents devront donc évaluer la maturité de leur(s) enfant(s) afin de ne pas risquer de lui(leur) imposer ce qui lui(leur) serait insupportable. Ils peuvent aussi, s’ils ne sont pas trop submergés par leurs émotions, écouter son(leur) désir (de voir, de participer… ou pas).

4La maturité des parents est donc essentielle ? 

Oui, mais bien souvent ils ne font que projeter sur leur progéniture leurs propres craintes et angoisses sans réfléchir aux vrais besoins psychologiques de leurs enfants. C'est sûrement le risque de faire de la mort un sujet tabou, donc de priver les enfants d’en faire l'expérience.
Je pense à certaines vieilles gravures qui représentent l’aïeul en train d'expirer dans son lit, entouré de sa nombreuse famille pendant que les plus jeunes jouent à cache-cache autour du lit. Quelle subtile leçon de vie ! L’enfant reste présent, mais dans son rôle, et pourtant il est naturellement associé au deuil vécu par l'ensemble de la famille. 

Quelle est donc l'attitude juste du parent ? Il s'agit moins d'avoir une attitude juste que d'être juste dans son attitude. Christine Longaker, qui dirige des séminaires de formation à l'accompagnement des mourants et qui a participé à la création d'unités de soins palliatifs aux USA, nous dit dans Trouver l'espoir face à la mort, un guide pour l'accompagnement émotionnel et spirituel des mourants (un ouvrage dont je ne saurais trop vous recommander la lecture) : « Lorsque survient une mort, les enfants découvrent et assimilent la compréhension que leurs parents ont de la mort. Que les parents perçoivent la mort d'une façon négative, comme quelque chose à éviter à tout prix, ou qu'ils la considèrent comme un aspect naturel et inévitable de la vie et de l'amour que nous ressentons pour autrui, le contexte familial se rapportant à la mort influera sur la réaction de l'enfant, pour le meilleur ou pour le pire ». Je crois que tout est dit là : le thème de « la mort » demande à la relation parent-enfant beaucoup de tact, de délicatesse et de confiance, pour permettre à l'enfant d'intégrer doucement une réalité incontournable, pouvant être porteuse de peurs et de fantasmes.

5Les enfants voient-ils la mort de la même façon que les adultes ? 

Non, ils ne peuvent pas la voir de la même façon, parce que leur fonctionnement intellectuel est différent et surtout parce qu'ils n'ont pas accumulé la même expérience de vie. Ainsi, il n'est pas encore possible d'aborder le sujet de la mort avec un enfant de moins de deux ans.
Après, entre deux et sept ans, l'enfant associe la mort à la disparition, à ce qui s'en va, puis, au fur et à mesure qu'il grandira, il cherchera le sens à accorder à la mort. 

6La manière dont nous nous y prenons pour lui donner des explications à sa portée (qui lui permettront de comprendre) est-elle capitale ? 

Absolument ! C'est à ce niveau que se situe notre responsabilité. Comment allons-nous répondre aux questions de l'enfant (telles qu'il nous les pose) sans devoir courir le risque de créer chez lui des fantasmes ? Il est absolument maladroit de dire à un enfant de cinq ans quand le grand-père est mort, « Grand-père est parti », donc de ne pas voir qu'il ne peut pas comprendre, encore moins admettre que son grand-père « qui l'aimait tant » soit parti sans lui avoir dit au revoir ! 
J'ai connu une femme qui, dans le cadre d'une formation à la préparation à l'accompagnement des mourants que j'anime, a partagé avec nous que, jusqu'à l'âge de 20 ans, il lui arrivait, dans des moments de nostalgie de son grand-père dont elle n'avait pas fait le deuil, de sortir de la ferme dans laquelle elle habitait, pour coller une grande échelle au pignon de sa maison et y monter au plus haut pour se rapprocher de lui et, peut-être, espérer l'y voir. On lui avait dit pendant toute sa jeunesse que son grand-père était au ciel.

Attention aux mots que nous employons ! Il faut éviter de comparer la mort au sommeil par exemple ! Pour parler de la mort aux enfants, nous devons employer les mots de la réalité qu'ils peuvent comprendre en fonction de leur âge et non pas des mots qui masquent notre peur. Françoise Dolto, dans Lorsque l'enfant paraît, explique : « Si la vérité n'est pas dite dans les termes mêmes que les adultes emploient pour affronter ces souffrances, l'enfant construit dans sa tête des fantasmes. Il faut que la réalité demeure dans les mots de la réalité, c'est-à-dire de l'expérience des choses. On ne peut pas par exemple dire à un enfant :

  • Il avait fini de vivre alors que nous nous espérions qu'il vivrait comme toi,Il est mort parce qu'i
  • C'est bien que tu sois vivant,
  • C’est anormal qu'il soit mort. 

7Ce n'est pas normal qu'il soit mort ? 

Oui, je conçois que cette affirmation puisse nous paraître choquante. Mais en effet ce n'est pas anormal, car ce grand-père lui aussi est soumis à la loi de la vie : il naît et il meurt, comme chacun de nous. Cela peut nous causer de la peine, nous faire souffrir, mais ce n'est pas anormal en soi. 

8L'enfant interroge-t-il sur ce qui se passe après la mort ? 

Certainement, il est à remarquer que l'enfant a appris, peu à peu, à ne pas devoir faire un drame de la séparation, donc à découvrir que les choses et les gens continuent à exister même en dehors de son regard. À partir de là, poussé par sa légitime curiosité, il cherche à comprendre et se pose naturellement les questions : « Qu'est-ce qu'il y a après ? Que font les gens après la mort ? ».

9Comment peut-on répondre aux questions de l'enfant ?

Il est sûrement important de tenir davantage compte de la dynamique psychologique de l'enfant que de nos croyances (religieuses ou pas). L'enfant étant par nature égocentrique, il est important de partir de son point de vue comme de son expérience à lui : « Tu ne peux plus le voir, mais tu en gardes un souvenir dans ton cœur et dans ta tête, peut-être que pour le mort, c'est la même chose, qu'il se rappellera toujours de toi ». Il est juste important de tenir à l'enfant un langage basé sur l'authenticité et l'honnêteté : « La vie après la mort, je ne peux pas exactement t’expliquer ce que c'est, car je ne le sais pas (n'en ayant pas fait l'expérience), de même que je ne peux pas te dire que ça n'existe pas. Personne ne sait ce qui se passe vraiment. Certains êtres humains espèrent et ont des croyances, c'est comme ça ».

10Et avec les tout-petits ? 

Il faut d'abord, accepter leur curiosité intellectuelle comme un processus sain et normal de croissance, ensuite leur répondre avec simplicité et honnêteté, en évitant autant que possible, de dramatiser. Chaque parent, s'il sait la choisir, peut en trouver l'opportunité. Une belle occasion peut se présenter si un jour, notre enfant nous tire par la main en s'exclamant : « Viens voir, le hérisson, il est tout écrasé ! ». Plutôt que de tirer notre enfant de l'autre côté en lui disant « Laisse, c'est sale ! », approchons-nous de l'animal écrasé, regardons-le en nous associant à l'enfant et disons sobrement, sans porter de jugement de valeur : « En effet, il est mort ».

11Et si l'enfant insiste pour en savoir davantage ? 

À la question : « Maman, quand est-ce que je vais mourir, moi ? », la réponse la plus honnête et naturelle est : « Je ne sais pas et personne ne sait, c'est pour cela que nous avons à vivre notre vie de manière à être le plus heureux possible, donc avec le plus d'amour possible au quotidien ». 

12Après 9 ou 10 ans, comment réagit l'enfant ? 

Tout dépend des influences qu'il a reçues, des expériences qui le guident. Mais à cet âge, l'enfant démontre une conception beaucoup plus réaliste de la mort, qui est vécue comme un processus biologique. Et, par le truchement de l'école, il est imprégné des croyances culturelles et religieuses de la société dans laquelle il grandit.

13Comment se comporter avec lui ? 

Encore une fois, si nous voulons l'aider, nous avons à accueillir ses réactions émotionnelles, le plus sobrement possible. Chaque enfant réagira de façon personnelle à la mort d'un parent, d'un(e) frère(sœur) ou d'un proche. 

À l'adolescence, qui est un âge de remise en question, beaucoup en viendront à douter et ils remettront en cause le contenu des enseignements auxquels ils auront été soumis, et ce n'est que plus tard qu'ils se forgeront leurs propres croyances. Dans cette période troublée de la vie, l'amour et l'amitié (ce qu'avec pudeur on appelle aujourd'hui la solidarité humaine) sont certainement des valeurs qui, quand elles sont réellement vécues, vont aider l’adolescent à surmonter les sentiments de détresse et d'aliénation qu'il peut ressentir à l’occasion de la perte d’un être cher. Nous pouvons garder présente à l'esprit une vérité : dans un moment de deuil, les jeunes ont besoin de l'écoute, de la bienveillance et de la compréhension inconditionnelle des gens qui les aiment, et c'est sur cette base qu’ils oseront s'ouvrir, partager, plutôt que se murer dans un silence buté ou une feinte indifférence. 

 

Renaud Perronnet