Confinée
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Jo
Le confinement… on le vit d’une certaine façon quand on a perdu son conjoint… C’est juste un plus, ou un moins, plutôt. Se lever seule, manger seule, gratouiller seule au jardin, marcher seule sur la voie verte près de la maison, faire ses courses seule, regarder seule des infos terrifiantes à la télé, parler seule eh oui, se coucher seule… c’est loin d’être évident. Seule quand l’entourage, la belle-famille plutôt -en ce qui me concerne-, déjà loin de nous, est totalement inexistante depuis ce jour. Dans ce milieu, ce drame a fait comme un ricochet dans l’eau immobile d’un étang, deux-trois ronds, puis plus rien. Et une surface lisse, comme avant. S’est-il passé quelque chose ? Et il y a peu, un message par texto… celui d’une belle-soeur, muette jusque-là, passive, me demandant si ça allait en cette période de confinement. A qui j’ai vertement répondu que le confinement en question, je le connaissais depuis un moment, et que si elle semblait s’intéresser au mien, c’est parce qu’elle avait du mal avec le sien. Humain, sans doute, sa réaction, on pense à l’autre avec ses propres filtres. Comme dit ma copine/voisine, tout le monde ne fonctionne pas ainsi, c’est vrai, j’ai essayé d’être là pour d’autres… Peut-être parce que j'ai vécu, moi aussi, des périodes difficiles, et que je sais la souffrance d’être enfermée dans un questionnement sans réponses, quand le monde autour ne s’arrête pas de tourner, que les gens autour programment leurs journées, racontent leurs voyages, etc., et que pour moi, tout s’est figé un certain jour, à une certaine heure... Le confinement : nous n’en sommes qu’au début, et si, les premiers jours, je pensais m’en accommoder mieux que la plupart de ceux qui m’entourent, vivant seule, éloignée de mes enfants, de ma famille d’origine, et écartée de ma belle-famille. Mais déjà, je trouve étrange cette solitude, qui prend maintenant un autre relief, un autre sens… Un isolement, bientôt. Malgré les efforts de mes voisins, les coups de fil des proches, des amis… Comme si je prenais encore plus conscience de cet état d’endeuillée. C’est bizarre de vivre seule une situation inédite, inimaginable, inimaginée à deux. De devoir inventer au fur et à mesure, de donner de l’importance à ces petits riens qui remplissent une journée… Tout se déforme, se distend. Je ne sais pas pourquoi, ou peut-être que si, B., mon mari, est encore plus dans ma tête. Les derniers jours avec lui (semaines, mois…) ont été déconcertants, inquiétants, sombres. Parti parce que déjà isolé en lui-même, sans réponses pour lui-même. Me laissant chercher un sens à son absence, à ma solitude… Et marcher, beaucoup, lire, beaucoup, parler, beaucoup, en essayant de me distraire de cette noirceur qui m’envahit parfois quand je n’en parle pas avec ma psy… Pleurer en entendant des rires, pleurer en entendant l’oiseau chanter au petit matin, pleurer en tombant sur les multiples petits bouts de papier remplis de ses annotations, de ses listes, de ses petits dessins, de ses plans, pleurer à la vue de son écriture soignée, de ses stylos bien rangés dans la trousse, de sa clarinette sortie de son étui pour un dernier exercice, de ses vêtements de jardin, bien pliés dans le placard… Pleurer en pensant au dernier petit matin, au dernier jour de notre vie ensemble, à ces sabots de caoutchouc qu’il avait alors chaussés, la chaise en métal qu’il avait emportée jusqu’au cerisier, au fond du jardin, le petit bout de corde effilochée, resté accroché après l’intervention des pompiers, pleurer en imaginant ses gestes méthodiques, ordonnés, mécaniques. Pleurer et tenter de fermer le dernier chapitre de sa vie, de la nôtre. Je navigue presqu’à vue dans cette vie en solitaire. Je prévois parfois, je laisse venir souvent. C’est possible de faire avec, de trouver de l’intérêt à l’ordinaire, au quotidien…d’oublier ce masque... de sourire au souvenir d'une de ses réparties, de m’attendrir au souvenir de la peau rugueuse de sa main… C’est possible d’être heureux de se chauffer au soleil, de respirer le parfum de la primevère, de regarder pousser les semis de tomates et de se réjouir de la naissance de deux petites feuilles, d’avoir trouvé la réponse à la question de mon pourquoi. Pourquoi ? Parce que c’est ma vie, parce que c’est la sienne, parce que c’est la vie. Libération d’avoir été percutée par l’éclair de cette évidence : je sais que je ne sais rien. Plus je vieillis, moins je sais. Mais je sais que je ne sais pas. Mais dans cette nouvelle vie en solitaire…? Le confinement, c’est subi. Brutalement, les contraintes : autorisation de sortie, minutage du temps d’évasion, obligation d’enfermement. Ce qui est imposé par l’homme m’est plus difficile que ce qui m’est imposé par la vie. Et parce que ces contraintes sont liées à la mort qui rôde, ce comptage macabre tous les soirs, cette attente angoissante de la grande vague, elles me renvoient à mon propre deuil. Avec, en plus, celui de laisser le temps filer, quand je me promène le long des chemins, celui d’être entourée d’une bande d’amis autour de la table, le deuil de cette convivialité, du moelleux de cette enveloppante chaleur humaine. Il faut me contenter de savoir que mon petit monde est là, à côté, que nous sommes liés malgré tout, en attendant le jour de nos retrouvailles. Il y aura un petit quelque chose en plus qui nous rendra encore plus heureux d’être ensemble. J’espère que, de votre côté, la vie ne vous est pas trop pénible en ce moment. Je pense à vous tous, et, oui, nos disparus sont avec nous.
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Danou
« Voilà la chose la plus difficile : apprendre à vivre avec ses disparus. Les ranger dans une boîte afin qu’ils deviennent des souvenirs. Les tenir à distance pour qu’ils cessent de nous heurter. Les aimer infiniment pour ne pas être dévoré par le manque. Faire de cette pensée douloureuse une pensée calme. Passer de la douleur brute à la douceur fragile. Cela demande du temps, et de la persévérance. Et quand on a appris, alors on est imbattable. » (Philippe Besson – La maison Atlantique)